Doss, joueur de mots

Véritable artiste de cabaret, Paolo Doss produit un spectacle sonore avant tout: "Plats nets à vendre". Rire tendre-amer sur une planète menacée

C'est toujours un plaisir renouvelé, déjà, de se retrouver chez Huguette Van
Dyck, dans son espèce de « crypte" chaleureuse de la rue de la Samaritaine. On est là, entre soi, accotés à de longues tables en bois, à lamper une Kriek ou une blanche de Hoegaarden. D'emblée, l'intimité s'installe entre les inconnus. C'est, il est vrai, tout le génie du café-théâtre.

La petite scène, presque miniature, qui s'étend devant nous a été, depuis des années, un véritable tremplin, un formidable marchepied pour de jeunes artistes en quête de notoriété. Quoiqu'à près de 33 .ans, Paolo Doss, cosmopolite italien de souche égyptienne, qui a tout appris - comme il dit - à l'école de la vie, n'en soit plus à sa grande première. Mais il prend plaisir, visiblement, à arpenter les planches de cette petite salle à dimension humaine; c'est-à-dire amplement. à sa mesure. Parce que ce clown, jongleur de mots, acrobate de la métaphore, tente d'exorciser par le rire intérieur l'effroi que lui inspirent le gigantisme et le délire universel. Pour refaire de l'homme l'acteur principal de ce monde.

PLANETE EN FEU. « Je suis tombé dans moi. Dans mon trou de mémoire. Eh bien, c'est profond! ». Tout, en somme, tourne autour du rapport de soi à l'univers. Quelque part entre l'égologie et l'écologie. Il aime parler de cette « belle petite planète, encore un peu jeune" vers laquelle il se « précipice ". Quand il dit que les forêts s'enflamment, c'est lui qui se sent immolé. « Seul le gaz reste naturel et prend un air plus léger. Souvent, la mer a du vague à l'âme. (...) Il n'y a pas de fumée sans feu: c'est alors que le feu est apparu. Et que l'homme a fait feu de tout bois. " Le clown est grave. De clown, d'ailleurs, il n'en a que le nez rouge. Dont il s'affuble, de temps à autre, pour marquer une situation tragi-cocasse. Et notre monde n'en manque guère.

Tout ici, on l'aura bien compris, est auditif. Un spectacle d'oreille. D'autant que Paolo Doss, homme de partout et de nulle part, charrie un merveilleux accent ouzbek. A moins qu'il ne fût de Bordurie ou de Syldavie. Peu importe à vrai dire. Il s'agit d'être prompt pour capter les finesses; car après, c'est déjà trop tard. Imaginant un singe face à l'ordinateur, le chansonnier s'exclame: «Avec le Doss, c'est tout un programme n. Et de fait, d'un égarement à l'autre, voyageant à bord de sa « soucoupe voyante n, il nous promène et nous' emmène aux confins de « l'imagine-air indispensable à l'évasion de l'esprit ». Quoi de plus logique, puisque le mental ment. Evidemment...

CHAMPS MAGNETIQUES. Alors, grimpant l'escalier qui surplombe la scène, il nous donne rendez-vous avec les grands chefs réunis au sommet de la Terre, d'où ils voient mieux le désert et ses déshérités. Puis, harnaché d'un sac à dos (à Doss ?), il se fraie un chemin dans la jungle amazonienne où « plus on rame, plus c'est pas gai ". Puis, au milieu de cet éclectisme, on passe des emprunts hypothétiques aux paysans qui labourent les champs magnétiques. Tandis que les cancres pensent à leurs échecs solaires pendant qu'ils étaient dans la lune. . La bêtise administrative fait également partie du répertoire, avec ces «fichiers où l'on est alpha bêtement coincé l'un derrière l'autre ". L'artiste figure aussi la fureur guerrière lorsque, coiffé d'un casque « boche" qui lui masque la vue, il s'écrase brutalement contre les murs. C'est là un temps de divertissement visuel qui, idéalement, pourrait être davantage exploité. Mais ça, comme il dit, c'est déjà de l'après-histoire.

Eric de BELLEFROID.

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Presse
sam, 05 Juin 1993
Source : 
La Libre Belgique