Rire pour retrouver le propre de l'homme...
Il fallait bien un week-end pour gratter les couches de componction, les inhibitions tristounettes et les scléroses de la joie qui emprisonnent le Je commun des adultes. Le week-end dernier, à la Ligue de l'Enseignement et de l'Education Permanente, rue de la Grande Triperie, ils étaient treize à vouloir se débarrasser de tout ce qui les empêche de rire. Un étudiant, un enseignant, un technicien... ont patiemment recherché leur clown intérieur en compagnie d'un guide éclairé.
Paolo Doss est clown depuis une dizaine d'années, sur les planches et en hôpital. Il a écrit .cinq one man show et deux spectacles pour enfants. Enfin, quand il délaisse le spectacle et l' écriture, il partage son savoir clownesque en animant des formations pour enfants et adultes. Le weekend dernier, il décapait ses élèves de leurs tenaces couches de sérieux.
Le clown triste est un mythe
Première opération, prendre ses distances avec sa personnalité. Une bonne couche de maquillage et quelques vêtements débiles suffisent. Mais le reste est plus dur.
Paolo Doss a appris à ses clowns en herbe à savoir rire d'eux-mêmes. Il leur a enseigné l'art de grossir les gestes de la vie, de glisser cet élément perturbateur qui déclenche le rire.
Doss et ses amis ont appris à atteindre l'essentiel d'un personnage pour en dégager la symbolique et l'imiter. Ils se sont transformés en vache, en chat, en oiseau...
Chrono en main, Doss a mesuré le rire de ses apprentis. Stoïques, agités, convaincants, inspirés, avec les yeux, avec la bouche, avec le ventre... ceuxci ont tenté de tenir le coup du rire. La montre dans l'autre main, Doss les a fait pleurer en leur précisant. «Le clown triste est un mythe. Il n'existe pas. Mais il faut savoir faire rire en préservant le respect. Contrairement au théâtre où les pleurs du comédien doivent faire pleurer le public. Un clown pleure pour faire rire».
Toutes les raisons conduisent au rire
Deux jours, c'était certes bien peu pour découvrir ce clown intérieur que d'autres mettent toute une carrière à trouver. Certains étaient plus spontanés, d'autres plus figés. Mais chacun sans doute aura trouvé une -part de ce qu'il cherchait.
Un universitaire était venu se libérer d'un univers «où on passe ses journées à se prendre la tête sans laisser de place au rire». Un technicien en électromécanique espérait trouver dans cette formation «la liberté qui manque dans ma vie». Un enseignant et un animateur de mouvement de jeunesse désiraient «apprendre une nouvelle technique d'animation en faisant mieux rire».
Un autre venait chercher la technique pour amuser les vieux cloîtrés dans une maison de retraite. Deux étudiants en psychologie, habitués à «gérer nos émotions» tentaient de trouver le contre-pied libérant leurs sentiments. Un autre entendait se déconnecter «d'une société et d'une actualité qui ne nous donne pas beaucoup l'occasion de rire.» Un autre encore conscient de tout ce qui l'empêchait de s'extérioriser voulait découvrir «cette autre personne qui dort en moi».
Tous sans doute tentaient de renouer avec le propre de l'homme, ce rire en voie de disparition.
par Alain Trémiseau