Dans son spectacle, Doss, clown langagier et sans pitié, se joue de la procréation médicalement assistée: «J'ai tout fait dans l'oeuf !»
Quand vous irez écouter « J’ai tout fait dans l'œuf » souhaitez donc que ce ne soit pas par une nuit de pleine lune: elle hâte les accouchements et accélère aussi le débit de notre clown préféré. Ce soir-là, les mots s'entrechoquaient, brillants, vivaces, étincelants. sans laisser au spectateur le temps de reprendre son souffle. Celui-ci n'avait pas trop de tout son savoir-entendre pour respirer correctement en épousant ces généreuses contractions textuelles.
Le spectacle débute dans l'univers interviscéral au moment de J'incroyable rencontre entre les gamètes-comètes. Le spermatozoïde, têtard un peu fêtard, rendu fou par son désir. parviendra-t-il à rejoindre l'ovule sans lequel sa vie est nulle? Vous le saurez en allant écouter Doss, clown langagier tendre et sans pitié.
Eprouvette tristounette
J'ai tout fait dans l'œuf traite de la procréation médicalement assistée: fécondation in Fitro, insémination artificielle. don d'ovules ou d'embryons, mères de substitution etc. Il en traite d' ailleurs fort bien c'est à dire en maltraitant quelque peu la question. le temps que s'y faufile un rire salutaire qui permet de réfléchir.
Tout le problème, devant l'inflation des procédés d'assistance à la procréation, est de traverser l'écran de la technique. Respecter le mystère et l'obscurité des origines alors que l'embryon est là. tout nu, écrabouillé d'une indécente lumière sous le néon du labo, logé dans son éprouvette tristounette. Arriver à communiquer avec votre enfant qui va naître en acceptant qu'il vous surprenne, alors qu' on vous le promet tout programmé, clé sur porte, avec facilités d'entretien et service après-vente. Après-vente éprouvante? "Epouvantail" de nos fantasmes, le bébé-éprouvette? Quant aux "mers porteuses", faut-il déchaîner sur elles les tempêtes?
Autant de questions que Doss suggère avec finesse, en suivant le bon plaisir des mots. Il traverse délicatement un autre écran celui de l'indifférence ou de la sidération. Sa grande force est de reconduire le spectateur au creux de lui-même, là où le langage étonne et nous murmure des choses inattendues, là où sont possibles les rencontres avec soi, au détour du rire.
Outre le jubilatoire travail sur les mots, le spectacle réserve quelques tout grands moments purement gestuels: entre autres. la Méditation (médication?) transcendantale, version taï-ji-xuan améliorée, grand voyage hébété à "Dosstination" de l'origine qui arrache au spectateur un rire ébloui.
Trilogie
Là-dessus, que ses fans "inconDossionnels" - ils sont déjà nombreux - se réjouissent: Doss propose tout prochainement une semaine de "trilogie" au cours de laquelle ils pourront se remettre à jour.
Le parcours de ce jeune athlète complet du métier de clown, autodidacte ouvert et inventif qui fait son miel de tout ce qu'il butine, ne manque pas d'intérêt. Il y a quelques années, il a quitté l'agence de publicité qu'il avait fondée pour se laisser aller là où le menait sa route: "Doss, arrêtez donc de faire le clown!", lui répétait-on à l'école primaire... Depuis, il propose régulièrement des spectacles dont il est à la fois J'auteur, le metteur en scène et l'acteur unique.
Les thèmes qu'il aborde ne sont jamais anodins: solitude et quête de soi dans Des espoirs au singulier, quête de r autre - la femme - dans La graine du pêcher, risques écologiques et protection de la nature dans un prochain spectacle en projet. Ne craignez pas pour autant dc passer avec lui une soirée d'angoisse cérébrale: tout se passe dans le registre poétique.
L'oeuf du rêve
Ainsi, pour revenir à J'ai tout fait dans l’oeuf l'imaginaire en est la clé. L'unité dramatique y est parfois un peu malmenée, mais on pourrait en retrouver le secret en écoutant l'ambiguïté du titre. J'ai tout fait dans ['oeuf. c'est dans l'oeuf que Doss a "tout" fait, c'est-à-dire tous ses personnages de la soirée, du loubard au pianiste fou.
Quand Doss parle à l'enfant dont il s'imagine enceint, quand il décrit la Terre et ses misères, ou les angoisses du permis de conduire, quand il semble laisser loin derrière lui son propos initial, il est toujours dans l'oeuf. Cet oeuf à jamais brisé, ce ventre de sa mère que l'on ne connaît que de l'avoir quitté. cette caresse à jamais perdue, Doss l'explore encore, le caresse de l'intérieur par les mots. Des mots parfois si doux que, brisant la coquille dans un souffle, ils la traversent et la laissent presque intacte: l'oeuf reste là fragile, à jamais creux et strié de fissures, mais encore habité de songes...
Christine De Bauw